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Brevets logiciels : l'Europe cherche sa voie

En 2002, la Commission Eupéenne fait une proposition de directive sur la brevetabilité incluant un chapitre sur le ''brevetage des inventions mises en oeuvre par ordinateur''. En septembre 2003, le Parlement ammende fortement le texte. Cependant, le 18 mai 2003, le Conseil des Ministres rouvre la porte aux brevets logiciels. Nouveau retournement de situation en novembre 2004 : la Pologne, pays entrant (mai 2004), s'abstient. Le Conseil n'a plus la majorité qualifiée... Il devrait revoir sa copie, à propos d'un sujet particulièrement complexe.


La brevetabilité : un sujet complexe et polémique

Le droit de la propriété intellectuelle ne coule pas de source. Le législateur doit en effet trouver un équilibre entre deux notions essentiellement opposées : le besoin de la société d'accéder au savoir, à la création, aux résultats de l'invention humaine, et les droits de l'individu créateur [12].

L'Europe est depuis deux ans le champ d'une bataille qui oppose certains lobbies industriels "pro-brevets logiciels"* et le camp des "anti-brevets logiciels". Ce dernier est composé de partisants du logiciel libre mais, aussi, de patrons de PME ou de chercheurs convaincus des effets néfastes d'une brevetabilité logicielle sans entrave et généralement favorables à une protection fondée sur le droit d'auteur.

Les Etats-Unis, qui permettent un large usage de la brevetabilité("tout ce que l’homme fait sous le soleil est brevetable"), connaissent effectivement des exemples interpelants. Ainsi, 20.000 brevets logiciels y sont déposés par an, soit la moitié du total des brevets. Seuls 7% de ces brevets sont détenus par des éditeurs de logiciels. La majeure partie porte sur du logiciel embarqué. Certains brevets frisent le ridicule : brevet sur l'utilisation du XOR, brevet sur le téléchargement de logiciels, brevet sur le jeu du Solitaire,... Le site Brevets-logiciels.info en collecte d'autres au sein d'un musée virtuel des horreurs [13]...

Le législateur doit donc faire face à d'intenses pressions, sur un sujet difficile et sensible. Il doit aussi composer avec l'Office Européen des Brevets (OEB), qui a accordé quelques 10.000 brevets*** [14] protégeant des règles d'organisation et de calcul sur ordinateur, c'est-à-dire des programmes pour ordinateur.

Logiciels pris "en tant que tel" et "effet technique"...

Clever Age [21] apporte un éclaircissement sur les raisons qui ont conduit à ces dépôts auprès de l'OEB :

Les brevets au niveau européen sont régis par la Convention sur la délivrance de brevets européens du 5 octobre 1973, qui définit notamment le champ des inventions brevetables (article 52). En particulier, ne sont pas considérées comme telles « les plans, principes et méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles, en matière de jeu ou dans le domaine des activités économiques, ainsi que les programmes d’ordinateurs » (article 52, paragraphe 2c). Mais le paragraphe 3 du même article apporte une nuance à ces restrictions, en stipulant que « les dispositions du paragraphe 2 n’excluent la brevetabilité des éléments énumérés auxdites dispositions que dans la mesure où la demande de brevet européen ou le brevet européen ne concerne que l’un de ces éléments, considéré en tant que tel ».

Tout le débat de ces dernières années a porté sur l’expression "en tant que tel" ("as such" dans la version anglaise), certains y voyant une façon de réintégrer les programmes d’ordinateur dans le champ des inventions brevetables. C’est en particulier la position de l’Office européen des brevets (OEB), l’organe de l’Union européenne chargé de l’examen et de la délivrance des brevets : dans une décision de la Chambre de recours technique du 1er juillet 1998, elle rappelle qu’« un produit "programme d’ordinateur" n’est pas exclu de la brevetabilité (...) si sa mise en oeuvre sur un ordinateur produit un effet technique supplémentaire, allant au delà des interactions physiques "normales" entre programme (logiciel) et ordinateur (matériel) »..

Remarquons que la notion d'"effet technique" n'est pas triviale et mérite également une clarification [22]. En effet, la frontière entre effet technique et effet non technique n’est pas toujours facile à déterminer, en particulier dans le domaine de l'informatique embarquée, où la limite entre matériel et logiciel s'atténue.

Des bénéfices liés à la brevetabilité ?

Les opposants à la brevetabilité avancent tout d'abord comme argument les spécificités de l'industrie informatique : « Le logiciel, c'est des petits morceaux d'innovations, sur les épaules d'une grande infrastructure de connaissances, d'outils et de logiciels pré-éxitants, qui sont complexes et coûtent cher à déployer, tester et faire évoluer dans des applications de production. » [22]. Ils avancent encore des désagréments tels que le coût des brevets (un brevet européen, valable dans huit Etats membres, coûte de 50.000 à 100.000 euros au total, dont un coût variant de 12.000 à 30.000 euros pour la seule recherche d'antériorité [22]) ou encore celui des contentieux juridiques (de $5 millions en 1982 aux Etats-Unis, ils sont passés à $4 milliards en 1998 [23]).

Diverses études rejettent par ailleurs l'idée des bénéfices liés à la brevetabilité****.

Au niveau européen des sociétés telles que Deutsche Bank Research et PriceWaterhouseCoopers (dans un rapport rédigé pour le ministère de l'économie hollandaise**) [19] estiment que la directive en l’état aura des conséquences négatives sur le développement des entreprises informatiques, sur l’innovation et sur les objectifs de croissance de l’UE pour la décennie en cours [4]. Le Kiel Institute for World Economics a également dénoncé les effets négatifs des brevets logiciels en Europe [9].

Les Pays-Bas, l'Allemagne et la Pologne se rebiffent...

La proposition de directive de la Commission Eupéenne sur la brevetabilité date de 2002 [10, 11]. En septembre 2003, le texte a été fortement amendé par le Parlement [15]. Le 18 mai 2004 [17, 18], le Conseil européen des ministres de l'Industrie et de la Recherche rouvre la porte aux brevets logiciels, en adoptant un texte très favorable à un droit des brevets "à l'américaine".

Le 18 novembre 2004, la Pologne a par contre officiellement signifié son désaccord profond avec le vote du Conseil des ministres européens sur les brevets logiciels datant du 18 mai 2004 [1, 8, 16]. Il retire ainsi son soutien au projet de directive de la Commission Européenne sur les brevets logiciels. La Pologne, pays le plus peuplé parmi les nouveaux arrivants de l'Europe des 25, faisaient l'objet de pressions de la part des deux camps. Les représentants de sociétés locales telles que HP, Sun ou PWC avaient marqué leur réticence par rapport au texte. Le gouvernement polonais a affirmé qu'il ne pouvait soutenir une proposition de directive qui, en raison de ses ambiguités et de contradictions, ne fait pas la différence entre le brevet pour des inventions mises en oeuvre par ordinateur (que la Pologne soutient) et le brevet logiciel (que la Pologne rejette) [6].

Cette décision fait suite aux interventions des parlements des Pays-Bas et de l'Allemagne.

Le 1er juillet 2004, le Parlement des Pays-Bas a décidé de demander au Ministre de l'économie, M. Brinkhorst, et à sa Secrétaire d'État, Madame Van Gennip de retirer le soutien des Pays-Bas à la proposition du Conseil européen des Ministres autorisant les "brevets logiciels". C'est la première fois dans l'histoire de l'UE qu'une telle procédure a lieu [2]. En octobre 2004, l’ensemble des partis représentés au Parlement fédéral allemand avait exigé que le gouvernement infléchisse sa position sur la directive relative aux brevets logiciels. L’initiative était partie du FDP (parti libéral), qui a déposé une motion au Bundestag demandant à la ministre de la Justice Birgit Zypries de soutenir les propositions du Parlement européen sur l’interdiction des brevets de ce type [3].

A l'heure actuelle, la Belgique, l'italie et l'Autriche ont choisi l'abstention ; l'Espagne a voté contre.

La Commission devra revoir sa copie

Les rapports de force sont indiqués dans un document sur le site Nosoftwarepatents.com [5] (soutenu notamment par 1&1, Red Hat et MySQL AB [9]). La marche arrière polonaise en novembre 2004 entraîne une perte de la majorité qualifiée en faveur du "oui" : 16 voix sont désormais manquantes pour faire en sorte que le vote du 18 mai 2004 corresponde à une "position commune" du Conseil européen. L'élargissement de l'Union Européenne en mai 2004 explique donc la perte de la majorité qualifiée [1].

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* Le lecture du site Breese et Majerowicz (conseil en brevets et logiciels), par exemple, donne une vision très favorable à la brevetabilité des logiciels. La problématique de l'interprétation de l'"effet technique" (qui mérite effectivement une clarification) y est notamment évoquée.
** Face aux enjeux européens, le cabinet de conseil PWC recommande de simplifier l'accès au marché plutôt que d'introduire un mode de protection par brevet.
***Selon Breese et Majerowicz, la Commission Européenne a compté environ 13.000 brevets portant sur des logiciels, dont 75 % sont d’origine non européenne. D'autres sources [20] parlent de 30.000 brevets déjà déposés.
**** Le domaine pharmaceutique est souvent pris comme exemple de la nécessité des brevets, censés protéger les colossaux investissements en Recherche et Développement. L'estimation de ces coûts de R&D pharmaceutiques la plus souvent citée est fournie par un institut en bonne partie financé par les firmes pharmaceutiques, à partir de données confidentielles fournies par celles-ci. L'analyse de la construction de cette estimation montrerait que le coût de Recherche et Développement est en réalité largement surestimé [24].

Sources :
[1] La Pologne retire son soutien aux brevets logiciels
[2] Le parlement néerlandais oblige le ministre Brinkhorst à retirer son soutien à la directive sur les brevets logiciels
[3] Brevets logiciels: le parlement allemand au complet s’oppose à Berlin
[4] Brevets logiciels : La Pologne s’oppose au Conseil de l’UE
[5] Draft of eu directive on software patents of 18 may 2004 lost qualified majority in eu council on 1 november 2004 and can therefore not be legitimately adopted as an "a" item
[6] Fabes O., Valse polonaise, Datanews, n°37, 26 novembre 2004, p4.
[7] Fabes O., Brevets logiciels : gare à l'exemple US, Datanews, n°36, 19 novembre 2004, p1.
[8] La Pologne ne soutient pas la proposition actuelle de la directive européenne sur les brevets logiciels
[9] NoSoftwarePatents.com lance une campagne contre les brevets logiciels dans l'Union européenne
[10] Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant la brevetabilité des inventions mises en oeuvre par ordinateur
[11] L'Observatoire législatif : Droit des brevets: brevetabilité des inventions mises en oeuvre par ordinateur
[12] Intérêt général et propriété intellectuelle
[13] Le Musée des Horreurs
[14] Brevets Logiciels de l'Office Européen des Brevets
[15]  Parlement européen : les résultats du vote du Mercredi 24 Septembre 2003
[16] Brevets logiciels: le compromis du Conseil européen fragilisé
[17] Les brevets logiciels approuvés par l'Union européenne
[18] Brevetabilité des logiciels: le Conseil européen défait le travail du Parlement
[19] La loi européenne sur les brevets : une menace pour l'innovation ?
[20] Brevets logiciels : le choc des cultures
[21] Clever Link : "Brevets logiciels" : où en est-on ?
[22] Enjeux des "Brevets Logiciels" en Europe
[23] Latrive F., Du bon usage de la piraterie, Exils Editeur, 2004, p151.
[24] Coût de recherche et développement du médicament : la grande illusion

Posté le 30 novembre 2004.


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